Syntec et le droit à la déconnexion – Le droit à la déconnexion des salariés introduit par l’accord Syntec peut être un moyen de régulation du temps de travail face à la déterritorialisation induite des technologies de l’information et de la communication.
Selon une enquête récente (1), les cadres distinguent de moins en moins vie privée, vie professionnelle, 89 % consultent leurs mèls professionnels sur leur temps privé, 93 % pendant leurs congés, 82 % dans leur voiture. En d’autres termes, les TIC engendrent ainsi un plus grand nombre de tâches à exécuter en dehors du cadre purement professionnel.
Les enjeux sont d’abord de se prémunir des risques du non-respect des frontières entre la vie privée et la vie professionnel que sont :
- le stress professionnel anormal ;
- l’épuisement (burnout) ;
- les incivilités croissantes ;
- la demande de requalification d’heures supplémentaires (2) ;
- les infractions relatives au travail dissimulé dans le cadre d’une mauvaise gestion de la comptabilisation des heures de travail.
Si les entreprises et leur DRH ont réagi à cette évolution, 72 % des cadres travaillent encore dans des sociétés qui n’ont pris aucune mesure de régulation (charte d’utilisation de la messagerie électronique, charte d’utilisation du système d’information, guide de procédure). Sans régulation, les litiges prud’homaux et situations de blocages sont à craindre.
Les difficultés sont réelles car la durée du temps de travail relève du pouvoir de direction de l’employeur. Instaurer une liberté, une plus grande autonomie des salariés doit se faire impérativement dans le respect des dispositions du code du travail, ce qui est parfois complexe à combiner.
L’entreprise elle-même sait-elle ce qu’elle peut faire ou jusqu’au elle doit aller quant aux règles de régulation à instaurer ?
Les TIC s’affranchissent par nature des heures d’ouverture et de fermeture du bureau.
Utiliser son propre « IPAD », son smartphone pour prendre l’ensemble de ses notes dans le cadre d’une réunion, l’intégrer instantanément dans telle ou telle application, (enregistrement numérique, transcription vers sa messagerie, photographie ou vidéo), sont aujourd’hui les usages des opérationnels.
Le BYOD (3) est une situation singulière en effet, car elle propulse les principes directeurs, vie privée résiduelle et présomption d’usage professionnel, vers des contenus professionnels embarqués et un usage professionnel par dérogation.
Cette réalité du terrain est difficile à courtcircuiter mais demeure assez simple à réguler en instaurant un droit à la déconnexion.
La digitalisation modifie clairement la temporalité des relations de travail encore connecté au code du travail. Jusqu’où l’entreprise peut-elle maîtriser le terminal personnel de l’utilisateur (le tracer, récupérer certaines données, en supprimer, etc.) ? L’instantanéité de l’accès à l’information est aujourd’hui un critère essentiel de l’utilisateur mais aussi de l’entreprise.
Instaurer un droit à la déconnexion dans une entreprise c’est surtout prendre en compte une réalité du terrain, s’inscrire aussi dans une culture digitale croissante, permettre du moins une posture flexible face à une conformité juridique trop rigide.
Ce droit à la déconnexion au niveau du droit du travail numérique se décline par la mise en œuvre d’outils de gouvernance ciblés, dont l’avantage résulte d’une mise à jour ou d’un déploiement qui peut être rapide et relativement simple à mettre en place.
Les exemples outre Rhin, déjà à l’étude dans certaine grande entreprise française, concernent une régulation de l’accès aux messageries après certaines heures. Certains bureaux voient leurs lumières se tamiser pour finalement s’éteindre et inviter certaines catégories de personnel à quitter leur travail.
La mise en œuvre d’une déconnexion est le passage à un droit à la non-accessibilité des serveurs de messageries par exemple (4), coupés lors des congés, mais rendus accessibles pour des cas exceptionnels et éminemment urgence.
Les règles du jeu peuvent prévoir jusqu’à la suppression des mèls avec une invitation à joindre un service ou une personne
Ce droit à la déconnexion apparaît alors comme un contrepoids à une mobilité non maîtrisée, souvent mis en avant avec pertinence par les syndicats. La CGT cadres a lancé le 4 septembre dernier une compagne pour « un droit à la déconnexion et une réduction effective du temps de travail des cadres et techniciens ».
Ce droit à la déconnexion n’est pas simplement un thème à la mode, les « digital natives » connaissent trop bien les dérives de l’utraconnexion et veulent connaître clairement les règles, mais bien une manière de s’ajuster aux nouvelles organisations de travail.
Ce n’est donc pas vraiment un hasard si l’accord de branche Syntec du 1 avril 2014 sur la durée du travail (5), signé et négocié par la CFDT, la CGC, CINOV et la Fédération Syntec, qui est venu compléter l’accord du 19 février 2013 relatif à la Santé et aux risques psychosociaux, une première en France, inscrit un droit à la déconnexion pour près de 900 000 collaborateurs travaillant dans le numérique.
Au-delà de la mise en place de ce bouton OFF installé dans le terrain des durées légales, l’impact des nouvelles technologies au travail a pour corolaire positif de mettre à mal le premier stéréotype selon lequel la valeur du salarié doit être appréciée en fonction du temps de présence au bureau.
Le présentéisme a du mal à cohabiter avec un bureau virtuel.
Emmanuel Walle
Lexing Droit Travail numérique
(1) Enquête 2013 éditeur logiciel Roambi
(2) Cass. soc. 24-4-2013 n°11-28398 Sté Lowendal Group c./ Mme X
(3) Lire notre précédent post du 25-1-2013, « Le BYOD : l’ADN du social numérique »
(4) Lire notre précédent post du 14-5-2014, « La convention Syntec reconnait le droit à la déconnexion »
(5) Syntec, Accord de branche du 1-4-2014