(actualisé le 22/04/2013) Marie Soulez – Après plus de dix ans de débat, la Conférence diplomatique, qui s’était promis de mettre au point un nouveau traité à l’intention des artistes interprètes ou exécutants de l’audiovisuel jusqu’alors faiblement protégés au niveau international, s’est conclue avec succès le 26 juin 2012 avec la signature par les négociateurs des Etats membres de l’OMPI du Traité de Beijing.
Le directeur général de l’organisation, Monsieur Francis Gurry, se félicite de ce nouveau traité qui intègre enfin pleinement les artistes interprètes ou exécutants de l’audiovisuel dans le système international du droit d’auteur.
Considéré par l’OMPI et par de nombreux artistes comme un moment historique, certains lui reprochent pourtant sa grande souplesse, jugeant que ce traité laisse trop de liberté aux Etats et n’améliore pas suffisamment la protection des droits des artistes interprètes ou exécutants dans le domaine audiovisuel. Le Traité de Beijing est-il alors le tournant majeur que le système international du droit d’auteur attendait tant ?
Historique. Qu’il soit ou non un tournant majeur, une chose est sûre, le Traité de Beijing a pour objectif de mettre fin à la discrimination qui s’était installée au sein des artistes interprètes ou exécutants, selon que leurs prestations soient purement sonores ou bien audiovisuelles.
En effet, les artistes interprètes ou exécutants (que sont principalement les chanteurs, musiciens, danseurs et acteurs) bénéficient d’une protection internationale limitée pour leurs interprétations ou exécutions, conférée par la Convention de Rome de 1961. N’emportant aucune dérogation aux dispositions précédemment établies, l’adoption, en 1996, du Traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes (WPPT, entré en vigueur en 2002) a modernisé les règles applicables aux artistes interprètes ou exécutants s’agissant des prestations sonores, au détriment des prestations audiovisuelles qui ne bénéficiaient d’aucune protection particulière.
Une telle différence de traitement fit émerger la Conférence diplomatique de l’OMPI sur la protection des interprétations et exécutions audiovisuelles, ouverte à Genève en décembre 2000. Il aura fallu plus de dix ans de débats agités pour que les membres du Comité parviennent enfin, en juin 2011, à un texte de compromis, suffisamment souple pour être adapté aux différentes législations nationales et ouvrir ainsi la voie au Traité de Beijing.
Comment expliquer la longueur des débats ? Pourquoi était-il si difficile de transposer aux prestations audiovisuelles ce qui était applicable internationalement aux prestations sonores ? C’est principalement la question relative à la cession des droits des artistes interprètes ou exécutants sur leurs prestations audiovisuelles qui se mettait en travers de la conclusion du Traité. Il n’est donc pas étonnant que la disposition qui a finalement été adoptée soit au centre des quelques critiques formulées à l’encontre du Traité.
Contenu. Le Traité de Beijing apporte une reconnaissance des droits économiques et moraux des artistes interprètes ou exécutants du monde entier au niveau international. En s’inspirant des règles prévues pour les prestations sonores, le Traité prévoit que l’artiste interprète ou exécutant bénéficie d’un droit moral et d’un droit patrimonial sur ses prestations audiovisuelles.
Un droit moral, tout d’abord prévu à l’article 5 du Traité de Beijing, permet à l’artiste interprète ou exécutant de s’opposer à « toute déformation, mutilation ou autre modification de ses interprétations ou exécutions préjudiciables à sa réputation » et un droit à la paternité, à savoir un droit « d’exiger d’être mentionné comme tel par rapport à ses interprétations ou exécutions, sauf lorsque le mode d’utilisation de l’interprétation ou exécution impose l’omission de cette mention ». Le Traité impose par ailleurs aux Etats signataire un maintien du droit moral après la mort de l’’artiste interprète ou de l’exécutant au moins équivalent au maintien des droits patrimoniaux. Il s’agit d’un droit non pas sur l’œuvre interprétée ou exécutée mais sur la prestation de l’artiste. Les prérogatives qui lui sont attachées sont donc essentiellement le droit au respect de l’artiste.
Un droit patrimonial exclusif, ensuite aux articles 6 et suivants du Traité, permet aux artistes interprètes ou exécutants d’autoriser la diffusion, l’enregistrement ou la reproduction de ses prestations. Cette disposition devrait ainsi permettre aux artistes interprètes ou exécutants, réalisant des performances audiovisuelles, de percevoir des redevances supplémentaires dans le cas d’une rediffusion de leur prestation, nonobstant les termes du contrat initial. Cette disposition vient également moderniser la protection des artistes de l’audiovisuel au plan international, en reconnaissant des droits moraux et économiques pour l’exploitation en ligne de leurs prestations (par exemple, si un phonogramme est rendu accessible via internet) comme pour leur exploitation classique (dite hors-ligne, telle la vente ou location de DVD). Plus généralement, il s’agit de donner aux artistes interprètes ou exécutants la possibilité de s’associer aux recettes perçues par les producteurs au titre de l’exploitation internationale de leurs productions audiovisuelles.
Il s’agit d’un véritable bouleversement du système international du droit d’auteur. Toutefois, certains craignent que ce bouleversement soit uniquement théorique, car il existe, concernant les droits patrimoniaux, une réserve de taille. L’article 12 du Traité de Beijing laisse une grande liberté de choix aux législations nationales, autorisant la création d’un régime de cession implicite des droits patrimoniaux au bénéfice du producteur, sauf stipulation contractuelle contraire.
Une incitation au tournant. Si le Traité de Beijing offre une grande liberté aux Etats signataires quant aux garanties accordées aux artistes interprétant ou exécutant des prestations audiovisuelles, il permet néanmoins de sensibiliser les Etats signataires à une reconnaissance plus forte des droits économiques et moraux sur les prestations audiovisuelles.
Les artistes européens bénéficient déjà, dans la plupart des Etats membres de l’Union, d’une haute protection. L’adoption du Traité de Beijing ne devrait pas alors engendrer de grandes modifications législatives. En France, par exemple, le Code de la propriété intellectuelle aménage, depuis 1992, un régime de protection des artistes interprètes sur tous types d’œuvres aux articles L. 212-1 et suivants, et notamment le respect du droit au nom, de la qualité et de l’interprétation des artistes interprètes, droit imprescriptible et inaliénable, ou encore un droit à rémunération distincte pour chaque mode d’exploitation de l’œuvre.
Toutefois, pour les artistes européens, le Traité est primordial puisqu’il vise à assurer le niveau de protection que connaissent la plupart des pays européens à l’échelle internationale, afin que les artistes interprètes ou exécutants bénéficient de plus grands droits et obtiennent une rémunération équitable lorsque leurs performances audiovisuelles sont exploitées dans des pays tiers.
Ratification. Pour l’heure, le Traité de Beijing doit encore être ratifié par 30 Etats membres avant d’entrer en vigueur, une démarche qui pourrait bien se voir accélérée par la ratification attendue des 27 pays membres de l’Union européenne. Tremblant d’impatience de le voir effectif, l’industrie audiovisuelle, quant à elle, continue d’applaudir l’adoption de ce nouveau traité.
Le 18 mars 2013, la République Arabe Syrienne est le premier Etat à avoir ratifié le Traité de Beijing (Notification Beijing n°1). La date d’entrée en vigueur du Traité sera notifiée lorsque le nombre requis de ratifications ou d’adhésions, tel que prévu par l’article 26 dudit Traité, sera atteint.
Lexing, Droit Propriété intellectuelle
Traité de Beijing du 26-6-2012
Commission européenne, Communiqué du 26-6-2012
OMPI, Communiqué du 24-6-2012
Pour plus d’informations, voir le site de l’OMPI, ainsi que le site de la Commission européenne