La CNCTR a publié, le 10 novembre 2016, une délibération sur une mesure de surveillance issue de la loi renseignement.
Le Conseil constitutionnel avait censuré l’article L811-5 du Code de la sécurité intérieure. La CNCTR donne son interprétation des dispositions de l’article L811-5 du Code de sécurité intérieure.
Interprétation stricte par la CNCTR de l’article L811-5 du Code de la sécurité intérieure
La délibération (1) de la CNCTR sur les mesures de surveillance des transmissions hertziennes (2) rejoint l’avis de l’ancienne Commission Nationale de Contrôle des Interceptions de Sécurité (CNCIS) (3).
En effet la CNCIS avait pris position sur la portée des dispositions de l’article 20 de la loi n° 91-646 du 10 juillet 1991 (4). Ces dispositions ont été d’abord codifiées à l’article L. 241-3 du Code de la sécurité intérieure. Elles ont été transférées (sans modification) dans l’article L. 811-5 du même code par la loi du 24 juillet 2015 (5).
Au regard des évolutions technologiques dans les années 90, s’est rapidement posée la question des téléphones portables, dont les communications passent par la voie hertzienne.
Dans son rapport d’activité de 2011-2012 la CNIS (6) indiquait que l’évolution technologique ne pouvait occulter le but poursuivi par le législateur en 1991, c’est-à-dire la protection du secret de la correspondance en son principe, sans en résumer le support à « l’existant technologique » ou à sa possible évolution.
La CNCIS rappelait ainsi la primauté du principe de liberté publique sur l’évolution technique. Elle retenait que l’exception à son contrôle prévue par l’article 20 (désormais) devait s’interpréter strictement : « Toute interception de correspondance échangée par la voie des télécommunications, qui n’entre pas dans le champ de l’article 20, est soumise quel que soit le mode de transmission filaire ou hertzien aux conditions et aux procédures fixées par la loi du 10 juillet 1991 ».
Selon la CNIS, cette interprétation stricte ne pouvait servir de fondement à la mise en œuvre d’interceptions de communications individualisables.
Cette règle a été rappelée dans les avis rendus par la CNCIS. Notamment pour définir les modalités des demandes et du contrôle en matière de recueil des données techniques de communications.
Elle a en outre mis en doute leur utilité et suggéré qu’elles ne soient pas reprises par la loi du 24 juillet 2015. Elle n’a pas été suivie par le législateur sur ce point.
Exerçant son contrôle sur un champ de techniques de renseignement plus large que celui couvert par la CNCIS, la CNCTR a la même approche que cette dernière sur la portée à donner aux dispositions de l’article L. 811-5 du Code de la sécurité intérieure.
Cette exception au régime de contrôle institué par la loi du 24 juillet 2015 et par celle du 30 novembre 2015 (7) pour assurer la protection de la vie privée, notamment du secret des correspondances, doit, selon elle, être interprétée strictement.
La CNCTR a estimé ainsi que l’article L. 811-5 ne doit pas faire échapper l’une quelconque des techniques de renseignement au régime d’autorisation préalable et de contrôle établi par cette loi.
C’est notamment le cas du recueil de données de connexion et des interceptions de sécurité des communications émises ou reçues par un téléphone portable. Ces mesures doivent faire l’objet d’une autorisation préalable du Premier ministre, après avis de la CNCTR, dans les conditions fixées par les articles L. 851-1 et L. 852-1 du Code de la sécurité intérieure. Et ce bien que les communications interceptées empruntent la voie hertzienne. La CNCTR a constaté que son interprétation de la loi était partagée par les pouvoirs publics.
Période transitoire accordée par le Conseil constitutionnel
Dans sa décision du 21 octobre 2016 (8), le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution l’article L811-5 du Code de la sécurité intérieure dans sa rédaction issue de la loi sur le renseignement du 24 juillet 2015 (9).
Le Conseil constitutionnel a estimé que l’abrogation immédiate de l’article L811-5 priverait les pouvoirs publics de toute possibilité de surveillance des transmissions hertziennes.
Il a donc reporté la déclaration d’inconstitutionnalité de l’article L811-5 au 31 décembre 2017.
Le Conseil constitutionnel a donc créé une période transitoire jusqu’au 31 décembre 2017 pendant laquelle les pouvoirs publics peuvent utilisés l’article L811-5.
Il a exigé que la CNCTR soit régulièrement informée sur le champ et la nature des mesures prises en application de l’article L811-5.
Suivi de la mise en œuvre de la CNCTR dans la période transitoire
La CNCTR est chargée par le Conseil de suivre la mise œuvre de l’article L811-5.
Elle doit s’assurer qu’aucune technique d’interception de correspondance et de recueil de données individualisables n’est mise en œuvre dans le cadre de l’article L. 811-5 sans avoir été préalablement autorisée en application des dispositions du livre VIII du code de la sécurité intérieure.
Aux fins de ce contrôle, la CNCTR doit être régulièrement informée sur le champ et la nature des mesures prises en application de l’article L. 811-5.
Information régulière de la CNCTR
Cette information doit la mettre à même de vérifier la conformité de ces mesures à la réserve d’interprétation émise par le Conseil constitutionnel. Et de recommander, si elle les estime non conformes à cette réserve, leur interruption et la destruction des renseignements collectés et, dans l’hypothèse où sa recommandation ne serait pas suivie, de saisir le Conseil d’État. Cette saisine doit intervenir dans les conditions prévues aux articles L. 833-6 à L. 833-8 et L. 854-9 du Code de la sécurité intérieure.
La CNCTR examine avec chacun des services concernés les modalités précises lui permettant d’être régulièrement informée des mesures prises par eux en application de l’article L. 811-5 du Code de la sécurité intérieure.
La CNCTR souhaite enfin être consultée sur les dispositions nouvelles que le législateur pourrait élaborer pour tirer les conséquences de la déclaration d’inconstitutionnalité de l’article L. 811-5 du code de la sécurité intérieure. »
Recommandations de la CNCTR
La CNCTR recommande au Premier ministre de demander à chaque ministre exerçant la tutelle de services de renseignement de veiller à ce que toutes les techniques de renseignement ne puissent être mises en œuvre qu’après avoir été préalablement autorisées par lui, conformément à ces lois.
Elle recommande que chacun des ministres définisse dans une instruction adressée aux services concernés relevant de son autorité les conditions dans lesquelles ces services pourront être autorisés à invoquer les dispositions de l’article L. 811-5 du Code de la sécurité intérieure. Elle recommande en outre que ces instructions soient soumises à son avis.
La CNCTR reconnait ainsi la nécessité d’appliquer le régime d’autorisation préalable et de contrôle pour toute techniques de renseignement. Et notamment pour le recueil de données de connexion et des interceptions de sécurité des communications émises ou reçues par un téléphone portable.
Un arrêté du 11 août 2016 (10) a modifié l’arrêté du 4 juillet 2012 permettant ainsi de compléter la liste des appareils et dispositifs techniques soumis à autorisation du Premier ministre (article R.226-3 du Code pénal).
Didier Gazagne
Audrey Jouhanet
Lexing Droit Sécurité & Défense
(1) Délibération 2/2016 du 10-11-2016
(2) Les transmissions sont juridiquement une phase particulière d’une communication électronique (entre l’émission et la réception). La voie hertzienne, quant à elle, est un des modes d’acheminement des ondes électromagnétiques.
(3) La loi sur le renseignement, institue une nouvelle autorité administrative indépendante : la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). La CNCTR prendra la suite de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS) mais avec un champ de compétence étendu à l’ensemble des techniques de recueil de renseignement.
(4) Loi 91-646 du 10-7-1991
(5) Loi 2015-912 du 24-7-2015 relative au renseignement
(6) CNCIS, 20e Rapport d’activité 2011-2012
(7) Loi 2015-1556 du 30-11-2015
(8) Conseil Constitutionnel, Décision 2016-590 QPC du 21-10-2016
(9) Post du 4-11-2016 (Analyse de la décision)
(10) Arrêté du 11-8-2016 modifiant l’arrêté du 4-7-2012