Marques et noms de domaine
Typosquatting
Un singulier typosquatting et une décision innovante
Imaginative, une société W. V. avait réservé trois noms de domaine imitant le signe 2xmoinscher.com, sur lequel une société T. de revente à distance d’objets neufs et d’occasion détient des droits à titre de marques, de nom commercial et de noms de domaine. Son ingéniosité tenait non pas à l’imitation en elle-même, mais au système de redirection qu’elle avait mis en place : redirection vers le site internet www.2xmoinscher.com, édité par la société T. Opération non désintéressée, à défaut d’être lucrative. La société W.V. s’était notamment affiliée à la société C. qui a créé un réseau constitué d’annonceurs, dont la société T., et d’éditeurs de sites internet. L’affiliation permettait à la société W.V. d’être rémunérée par la société C. à chaque fois qu’un internaute visitait le site www.2xmoinscher.com en tapant une adresse composée avec les trois noms de domaine qu’elle avait enregistrés et qui correspondaient à des fautes de frappe par rapport à l’adresse exacte : 2xmoinschers.fr, 2moinscher.fr, 2xmoinscheres.com. La société C. est elle-même rétribuée par les annonceurs en fonction du trafic généré. Le tribunal de grande instance de Paris a sanctionné ce montage, le 2 avril 2009.
La motivation des juges mérite d’être examinée. Ils rejettent, en effet, le fondement de la contrefaçon de marques et de droit d’auteur, ainsi que celui de l’atteinte au nom commercial pour retenir exclusivement celui de l’atteinte aux noms de domaine de la société T. La contrefaçon de marques de la société T. est écartée par les juges, au motif que la société W.V. n’a pas utilisé les noms de domaine litigieux en tant qu’adresse d’un site Internet sur lequel elle aurait présenté ses propres produits et services mais « uniquement pour réorienter les internautes vers le propre site de la demanderesse ». En effet, la contrefaçon « n’est réalisée que lorsque la dénomination litigieuse sert à désigner un produit ou service identique ou similaire aux produits et services désignés par la marque imitée et crée un risque de confusion avec ces derniers ». Pour les juges de première instance, cet usage n’est pas constitutif d’un « usage à titre de marque ».
De même, l’atteinte au nom commercial est refusée, dans la mesure où, selon le tribunal, le système mis en place par la société W.V redirigeait les internautes « moyennement attentifs » vers le site de la société T., sans qu’ils pussent identifier l’action de la société W. Enfin, les juges considèrent que la contrefaçon du titre et du site internet de la société T. n’est pas caractérisée en l’absence de création de site internet par la société W.V. et du défaut de démonstration de l’originalité du nom du site de la société T. Sur ce dernier point, les juges soulignent que « le critère de l’investissement n’est pas pris en compte pour la protection des titres des œuvres de l’esprit ».
En revanche, les juges condamnent la société W.V. pour s’être appropriée la valeur économique des noms de domaine enregistrés et exploités par la société T., qui a subi de ce fait un préjudice « tant matériel que moral tenant au versement par elle d’une rémunération injustifiée » à la société W.V. A cette fin et entre autres motifs, ils soulignent que la société W.V. « ne crée aucune valeur, mais se contente d’exploiter, sans son accord, celle que la société T. a su conférer à son site par son savoir-faire et ses investissements ». Le mécanisme de redirection mis en place par la société W.V. aboutit en effet à une captation d’une partie du trafic du site internet de la société T. L’appropriation de la valeur économique des noms de domaine constitue une motivation innovante et particulièrement intéressante, dans des cas d’espèces où il n’existe pas d’agissements contrefaisants au sens strict des textes du Code de la propriété intellectuelle.
(Mise en ligne Octobre 2009)