Par un jugement du 21 novembre 2022, le Tribunal de commerce de Paris condamne la plus grande plateforme de conseils de voyage pour dénigrement en ligne.
Retour sur les faits
Une agence de voyage en ligne, permettant de rechercher et de réserver des billets d’avion en comparant les différentes offres des compagnies aériennes, reproche à la plateforme d’avoir laissé sur l’un de ses forums (« Bourse des vols ») des commentaires dénigrants et négatifs d’utilisateurs à l’égard de son site internet.
Selon la plateforme, les messages litigieux « ne sont pas manifestement illicites, puisqu’ils sont ne sont que l’expression d’opinions d’utilisateurs publiées dans le respect de la liberté d’expression ».
L’obligation de l’hébergeur de contenu
L’article 6 de la Loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) prévoit expressément, en son point 7, que les hébergeurs de contenu ne sont pas soumis à une obligation générale de surveiller les informations qu’ils transmettent ou stockent, ni à une obligation générale de rechercher des faits ou des circonstances révélant des activités illicites.
Par ailleurs, le même article prévoit le principe d’irresponsabilité civile et pénale de l’hébergeur quant au contenu des sites hébergés.
A cet égard, leur responsabilité ne sera engagée que dans deux hypothèses :
- ils ont effectivement eu connaissance du caractère manifestement illicite des messages et ils ne les ont pas retirés ;
- dès le moment où ils en ont eu connaissance, ils n’ont pas agi promptement pour les retirer ou rendre l’accès impossible.
Le statut accordé à la plateforme de conseils de voyage
Le statut retenu à l’égard de la plateforme mérite quelques remarques. En effet, la décision rappelle que lorsque l’hébergeur « intervient dans la création ou la sélection des contenus diffusés, celui-ci pourra être qualifié d’éditeur de contenu ».
En l’espèce, les juges ont retenu qu’en intervenant sur le forum de discussion :
- la société qui édite la plateforme a joué un rôle actif d’éditeur de contenu et que,
- par conséquent, il peut engager sa responsabilité.
La notion de modération de contenu
Par définition, la modération de contenu consiste à vérifier la conformité des contenus publiés sur internet au regard de ce la loi autorise. Dès lors, il est possible de supprimer, tout ou partie d’un message qui ne correspond pas à un certain nombre de critères ou qui ne respecte pas les règles définies par le blog ou le forum.
D’une part, la modération a priori permet de mieux contrôler l’activité des blogs ou des forums de discussion car il permet une modération avant la publication d’un message sur internet.
Dans ce cas, il y a un délai entre le moment où l’utilisateur poste son message et le moment de sa publication. En effet, le modérateur doit lire et valider le message posté avant de le publier pour tout le monde ou de le refuser.
En cas d’oubli d’un contenu illicite lors de la modération a priori, l’éditeur du blog ou l’organisateur de forum engage automatiquement sa responsabilité conformément aux dispositions de l’article 93-3, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1982 modifiée.
D’autre part, la modération a posteriori intervient seulement après la publication du message.
Dans ce cas, l’éditeur du blog ou l’organisateur de forum pourra, soit agir spontanément pour retirer le contenu des messages, soit agir sur la demande d’un utilisateur.
L’absence prolongée de modération de la plateforme
En l’espèce, le tribunal reproche à la plateforme son abstention, de manière prolongée, à modérer les propos tenus à l’égard de l’agence de voyages en ligne. Or, dans sa rubrique « Fonctionnement du site », la plateforme précise :
- d’une part, les caractéristiques principales de contrôle des avis et
- d’autre part, les critères de publication des avis de voyageurs.
Dès lors, la plateforme effectue non seulement un contrôle a priori des avis publiés mais aussi a posteriori. Ces derniers doivent être en adéquation avec les critères de publication des avis.
Ainsi, la plateforme n’a pas pris les mesures nécessaires pour supprimer les propos dénigrants publiés à l’égard de l’agence de voyages en ligne. En s’abstenant de remédier rapidement à ce retrait, le tribunal a considéré que l’agence avait nécessairement subi un préjudice moral. A ce titre, le tribunal condamne la plateforme a à indemniser l’entreprise victime des commentaires dénigrants, à hauteur de 50 000 euros.
La volonté jurisprudentielle en retenant une telle décision est, comme cela a été le cas dans l’arrêt de la Cour de cassation (1), de se montrer de plus en plus sévère à l’égard des plateformes en ligne. En effet, leur rôle actif et leur qualité d’éditrices les rendent responsables du contenu publié.
Virginie Bensoussan-Brulé
Tess Sedbon, élève avocate à l’HEDAC
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