URights projette une révolution dans le domaine de la collecte et la répartition des droits d’auteurs online.
La Société des Auteurs, Compositeurs et Editeurs de Musique (Sacem) a conclu un partenariat avec l’entreprise IBM pour une durée de 10 ans, en vue d’externaliser son activité de collecte et de répartition des droits d’auteurs pour le streaming musical. A partir de fin 2017, l’activité sera effectivement transférée vers une plateforme s’appuyant sur des technologies analytiques et de gestion du big data (1).
Fondée il y a plus de 150 ans, la société d’auteurs française gère la collecte des droits d’auteur en France et les redistribue aux compositeurs et éditeurs sociétaires français et étrangers. La Sacem ne collecte pas les droits des artistes, interprètes et musiciens, lesquels sont représentés par deux autres sociétés : l’ADAMI et la SPEDIDAM. Le nombre de sociétaires, aux alentours de 157 000 membres, donne à cette organisation un pouvoir considérable sur le marché de la musique.
Du CD à Spotify : un changement drastique dans les usages (2)
L’industrie musicale a subi des mutations profondes qui affectent directement les modes de consommation des utilisateurs ainsi que les méthodes de collecte et de répartition des droits. Depuis 2016 aux Etats-Unis, les revenus générés par les plateformes de streaming musical ont devancé ceux du téléchargement.
Dans le monde du streaming, des milliards de transactions – évaluées à des fractions de cent – sont calculées pour que les artistes et détenteurs de droits d’auteur soient payés.
Le mode de répartition des droits s’appuie principalement sur les relevés établis lors de la diffusion ou la reproduction des œuvres. Cela signifie que la Sacem est confrontée à un nombre croissant de données unitaires générées par les plateformes de streaming de musique. Pour exemple, en 2015, la société d’auteur a traité près de 982,5 milliards de lignes de données et le volume est en spectaculaire augmentation.
Par ailleurs, les droits sont de plus en plus complexes à calculer. Par exemple, sur certaines plateformes de partage de contenus, se sont les utilisateurs qui postent eux-mêmes des contenus sans renseigner de données particulières sur les auteurs initiaux ; cela rend pratiquement impossible toute rétribution des auteurs.
Face à ces problématiques, la Sacem a opté pour une plateforme (hébergée dans le cloud d’IBM) mettant en œuvre la technologie Watson.
Une plateforme portée par la solution Watson explorer
En termes techniques, IBM Watson est une avancée notable dans la construction de l’intelligence artificielle.
Le système Watson a acquis sa célébrité dès 2011, où le programme est parvenu à battre les humains dans l’émission télévisée américaine « Jeopardy ! ».
Depuis lors, la technologie IBM a évolué et propose une multitude de services. Globalement, Watson permet de passer au crible des quantités massives de textes, de documents, e-mails, images, vidéos, messages sur les réseaux sociaux et offre des réponses aux questions des utilisateurs en langage naturel et en temps réel.
En vertu de ses capacités d’apprentissage, Watson est capable d’adapter et d’améliorer chaque nouvelle génération d’hypothèses et d’évaluations.
Ce système cognitif trouve des applications dans tous les secteurs, notamment la mode, par le biais d’une collaboration avec la maison de couture Marchesa, afin de concevoir la première robe cognitive en 2016 (3), ou dans le domaine de la santé, en apportant une assistance aux médecins dans l’analyse des mutations génétiques à l’origine des cancers.
Pour l’instant, la plateforme n’utilisera pas la partie cognitive de Watson, mais uniquement sa partie algorithmique qui permet d’identifier des milliards de données provenant des plateformes de streaming et de contenu musical, telles que Youtube, Deezer et Spotify et d’analyser toutes les mélodies afin d’attribuer le morceau à un artiste.
Urights : la data au centre du droit d’auteur
La Plateforme Urights est destinée à devenir une référence sur le marché de la musique. Elle a été pensée sur un modèle ouvert afin de permettre à d’autres sociétés d’auteurs ou organisations de profiter des analyses qu’elle établira.
A terme, les services de la plateforme devraient pouvoir être proposés à d’autres collecteurs et potentiellement rassembler la majorité des acteurs et sociétés d’auteur du monde musical.
La plateforme met en œuvre trois processus distincts :
- l’identification des titres musicaux sur le réseau : la plateforme doit identifier, parmi les milliards de fichiers disponibles sur les sites de streaming musical, les titres individuels de chaque artiste. Le système sera en mesure d’analyser des milliards de lignes de musique pour procéder à l’identification des œuvres qui feront l’objet d’une collecte ;
- l’analyse des données d’audience : grâce à la convergence de milliards d’informations, la plateforme proposera aux compositeurs et aux éditeurs une analyse des modes de consommation des œuvres diffusées. La performance de l’œuvre sur différents médias, ainsi que le retour des fans sur les médias sociaux, seront également passés au crible ;
- la facturation : l’analyse quantitative des données provenant des différentes plateformes de diffusion musicale permettra d’affecter les montants à leur demande. Grâce au processus d’identification, la personne sujette au paiement, ainsi que le destinataire de la rétribution, seront déterminés.
Un changement de paradigme autour de la protection de la propriété intellectuelle
Les enjeux actuels portent généralement sur la question de la protection à accorder aux « œuvres » qui découlent de l’intelligence artificielle et la problématique de la titularité des droits (4). Autrement dit, les acteurs s’interrogent sur la possibilité pour les robots d’être titulaires de droits de propriété intellectuelle.
L’intelligence artificielle et les procédés de gestion du big data, dans le cas de la plateforme Urights, ne créent pas de droits de propriété intellectuelle, mais favorisent et améliorent la protection de droits existants.
La promotion du numérique, des nouvelles technologies et des robots s’accompagne souvent de critiques invoquant une diminution de la protection de la propriété intellectuelle au profit d’une logique de marché.
Cette initiative coordonnée entre IBM et la Sacem démontre, à l’inverse, que des synergies peuvent naître pour soutenir la protection de la propriété intellectuelle. L’innovation numérique et ses effets deviendraient des partenaires de la protection, et non plus l’adversaire pointé du doigt pour ses effets négatifs.
Lexing Alain Bensoussan Avocats
Lexing Propriété intellectuelle
(1) Sacem, Actualité du 12-1-2017
(2) Which-50, Article du 27-2-2017
(3) Vidéo YouTube Marchesa et IBM Watson
(4) Post du 14-3-2017