Construire une usine du futur (industrie 4.0) induit la maîtrise de défis technologiques et enjeux réglementaires.
En effet, tout secteur industriel confondu, l’usine du futur (1) se construit sur des technologies clés (2) transversales et des écosystèmes technologiques spécifiques qui présentent également des enjeux réglementaires.
L’usine du futur appuie la conception d’une production entièrement intégrée d’un point de vue numérique. Elle repose d’une part sur des technologies transversales et un volume très important de données, d’autre part sur des écosystèmes technologiques spécifiques.
L’usine du futur: les technologies transversales
Les technologies transversales dans l’usine du futur sont toutes dépendantes de la maîtrise des données et des écosystèmes de production de données (IIoT, analyse et algorithme prédictifs, etc…).
Numérisation 3D de l’environnement industriel ou de l’outil de production
Enjeux technologiques. Dans l’usine du futur, le développement de la numérisation 3D permet de disposer d’un modèle numérique de l’ensemble des outils de production. Ceci afin de pouvoir interagir avec ce modèle pour simuler ou optimiser les équipements de production. Mais également de faire de la simulation des zones à risques ou dangereuses. Ou encore d’analyser ou d’identifier des équipements ou composants critiques. Cette technologie est transversale puisqu’elle pourra être couplée ou faire appel à plusieurs autres technologies également transversales, comme la réalité augmentée ou le cloud.
La numérisation en 3D de l’environnement industriel, des équipements et des outils de production de l’usine du futur permet de rendre la production plus intelligente. Et plus flexible. La numérisation en 3D de l’outil ou système de production est appuyée par la numérisation de toutes les opérations de production.
Flexibilité de l’outil de production
La numérisation en 3D contribue à la flexibilité de l’outil de production. Il s’agit d’un enjeu majeur de l’usine du futur. Idem de la numérisation de la globalité de l’environnement de production et des équipements. Celle-ci permet en effet de disposer en temps réel d’information directement exploitable. Et ce pour personnaliser, adapter, calibrer au plus près la production. Et rendre les données issues de l’outil de production accessibles aux différents décideurs de l’entreprise sur le site industriel. Mais également à distance ou encore pour permettre un accès ou un partage d’information via le cloud avec des fournisseurs, clients ou sous-traitants.
Après la numérisation, le modèle numérique en 3D de production permet dans l’usine du futur d’exploiter à partir de logiciels d’analyse les données de chaque équipement ou machine. Le modèle numérique en 3D permet aussi de géo-taguer la documentation industrielle disponible des fabricants. et de vérifier plus facilement la conformité aux normes industrielles applicables. L’accès à un modèle numérique en 3D permet également de connecter les systèmes robotiques ou les machines au modèle numérique de l’entreprise.
A terme l’analyse des modèles numériques en 3D qui auront été spécifiés par secteur d’activité. Ceci grâce également à l’Internet Industriel des Objets (IIoT), permettra une meilleure adaptation de l’entreprise à son (ses) marché(s). Ainsi que la réalisation de tests en conditions réelles de nouveaux scénarios de production.
Enjeux réglementaires de l’usine du futur
L’accès ou la publication de maquette numérique en 3D spécifiée pourra présenter des risques de propriété intellectuelle. La réalisation de modèle numérique de production en 3D accessible en ligne ou à distance augmente également la capacité d’exposition aux risques de cybersécurité. Et aggrave ceux existants. Principalement du fait de la possibilité de connaître les interactions entre les différents équipements de production grâce au modèle numérique en 3D.
Ce modèle numérique en 3D permet également d’optimiser le monitoring, la surveillance et la maintenance prédictive de l’outil de production.
Usine du futur : Big Data et valorisation de données massives
L’usine du futur produit un volume de données massives, structurées ou non, qu’il faut valoriser et rendre intelligible pour les managers et décideurs.
Ce volume de données n’a d’intérêt que s’il permet de générer de la valeur. Ceci afin de permettre aux managers et décideurs d’anticiper sur les décisions afin de disposer d’un avantage compétitif et concurrentiel.
Les technologies de valorisation de ces volumes de données sont interdépendantes des technologies de traitement et d’analyse des données (data mining, deep learning). Et plus généralement des technologies de software de modélisation, virtualisation et simulation des données massives ainsi que des technologies de cybersécurité.
Si l’on laisse volontairement de côté la question du traitement en temps réel des données du big data, les défis technologiques concernent essentiellement les procédés d’anonymisation irrréversibles et absolus des données personnes du big data.
Usine du futur: ingénierie numérique des données industrielles
Les technologies d’ingénierie numérique des données industrielles permettent de décrire un phénomène en fonction de dimensions physiques, mécaniques, chimiques, biologiques. Ceci grâce à un ensemble de fonctions mathématiques. Elles sont utilisées pour traiter « la bonne information à la bonne échelle ». Les modèles mathématiques sont également présents. Et ce à toutes les étapes de la chaîne de valeur numérique de l’industrie du futur. Ces technologies sont amenées à se développer. Compte tenu principalement du développement et l’augmentation exponentielle des puissances de calcul des supercalculateurs.
Enjeux réglementaires de l’usine du futur. L’enjeu réglementaire des technologies big data et d’ingénierie des données industrielles est la définition d’une stratégie globale de valorisation des données et aussi d’intelligence des données respectant le cadre réglementaire des données personnelles et les exigences de cybersécurité.
L’usine du futur: écosystèmes technologiques spécifiques
Robotique collaborative
Enjeux technologiques de l’usine du futur. Les robots collaboratifs sont définis dans la norme NF EN ISO 10218-2. Il s’agit des robots conçus pour pouvoir travailler en interaction directe avec un opérateur humain dans un espace de travail collaboratif.
A la différence des systèmes robotisés non collaboratifs, le robot collaboratif est conçu pour augmenter la flexibilité d’un poste de travail. Ainsi également que la polyvalence des outils de production. Il doit également pouvoir être intégré sans recourir à des enceintes périmétriques de sécurité. Le couplage du robot collaboratif avec un opérateur humain permet de réduire voire de supprimer la pénibilité pour l’opérateur humain. Les tâches répétitives ou pénibles pouvant être, dans l’usine du futur, assurées par le robot collaboratif.
Un robot collaboratif, du fait de son interaction directe avec l’opérateur humain, est ainsi conçu pour disposer de fonctionnalités spécifiques de sécurité :
- arrêt nominal de sécurité contrôlé ;
- contrôle de la vitesse et de la distance de séparation avec l’opérateur humain ;
- limitation de la puissance et de la force, soit par conception, soit par circuit de commande.
Enjeux réglementaires. L’intégration dans l’usine du futur de robots collaboratifs nécessite de suivre une démarche d’intégration structurée qui s’articule autour des 5 phases suivantes :
- expression des besoins : l’entreprise va définir dans un cahier des charges ses besoins en robots collaboratifs ;
- identification et d’analyse des risques ;
- mise en place des robots collaboratifs ;
- test et recette des robots collaboratifs ;
- mise en conformité avec les autres exigences de la réglementation européenne (Marquage CE, Conformité à la Directive CEM (Compatibilité électromagnétique) , conformité à la directive ATEX, etc….).
Santé et sécurité
Du fait de la proximité de l’opérateur humain avec les robots collaboratifs, il est nécessaire de procéder à une analyse des risques pour la santé et la sécurité.
Les exigences essentielles de santé et de sécurité de la directive machine 2006/42/CE sont à prendre en compte. L’analyse des risques peut être réalisée en s’appuyant sur les normes publiées en matière de robots industriels.
Le référentiel normatif des normes est aujourd’hui constitué de normes identiques au niveau mondial. Les normes de ce référentiel applicables aux robots collaboratifs sont la norme NF EN ISO 10218-1, la norme NF EN ISO 10218-2 et EN ISO 12100.
Par ailleurs, il conviendra de prendre en compte les questions relatives à l’acceptabilité sociale des robots collaboratifs. Sans oublier la conduite du changement et la valorisation de l’opérateur humain dans une collaboration homme-robot, la formation des personnels et la conduite du changement.
Usine du futur : Internet Industriel des objets (IIoT)
Enjeux technologiques. L’Internet Industriel des Objets sera un très fort contributeur dans l’usine du futur. Selon les experts, à l’horizon 2025, 50 milliards d’objets devraient être connectés à Internet. Par conséquent, le potentiel disruptif de l’IIoT pourrait être aussi disruptif que l’a été l’Internet. L’IIoT va également transformer la chaîne de valeur.
L’IIoT consiste à faire communiquer entre eux tous les « objets » (robots, machines, capteurs, actionneurs..). Ainsi que l’ensemble des acteurs (collaborateurs, fournisseurs, sous-traitant, clients) de la chaîne de valeur dans l’usine du futur. Sans l’IIoT, la numérisation en 3D de l’environnement et l’outil de production n’est pas globale. Et surtout ne permet pas de faire vivre en temps réel le modèle numérique en 3D de l’environnement industriel et de l’outil de production.
L’enjeu technologique de l’IIoT est de pouvoir disposer de données issues des objets et des acteurs. Et de pouvoir les exploiter dans le cadre de l’intelligence opérationnelle en temps réel.
Collecte des données sur les produits
Dans la mesure ou l’IIoT collecte des données sur les produits, il permet également de connaître l’expérience client en temps réel. Et d’évaluer la pertinence et l’adéquation d’un produit ou d’un service aux besoins des clients.
L’IIOT permet le développement du « manufacturing as a service ». Et par conséquent la création de nouveaux modèles économiques et de business modèles. Pour certains produits ou services, l’IIoT et le manufacturing as a service modifient profondément les habitudes de consommation. En permettant de proposer une offre basée sur l’usage du produit et donc une tarification basée exclusivement sur l’usage du produit.
L’usine du futur qui souhaite tirer profit de l’avantage de l’IIoT doit naturellement s’assurer qu’elle intègre bien dans le système d’information l’ensemble des données issues de son outil de production.
Enjeux réglementaires. S’agissant des enjeux réglementaires, l’IIOT augmente également considérablement la surface d’attaque et les risques de cybersécurité. Ce qui implique de définir et mettre en place dans l’usine du futur une véritable politique globale de sécurité. En ayant préalablement défini une stratégie de cybersécurité. Et dans certains cas de cyberdéfense en fonction du secteur d’activité industriel de l’entreprise. L’IIoT nécessite également de gérer les aspects juridiques relatifs à la protection des données. Et d’anticiper les nouvelles formes de responsabilité résultant des nouveaux usages des produits.
Le volume des données collectées provenant du modèle numérique 3D et de l’IIoT sont très important. Cela nécessite également de définir une véritable politique de sauvegarde des données. Et une véritable politique sur les durées de conservation des données. Dans la mesure où les données doivent pouvoir être utilisées sur de longues périodes, il convient également de pouvoir rendre les données interopérables.
Usine du futur: fabrication additive
La fabrication additive est définie dans la norme NF EN 67001 comme un procédé qui permet de fabriquer, couche par couche, par ajout de matière, un objet physique à partir d’un objet (fichier) numérique. Les technologies de la fabrication additive se développent dans tous les secteurs de l’usine du futur.
Enjeux technologiques. Le potentiel de la fabrication additive permet une personnalisation de la production industrielle. Les enjeux technologiques de l’intégration de la fabrication additive dans l’usine du futur impliquent une étude poussée et rigoureuse de la chaîne de valeur. Ainsi que de l’apport de la fabrication additive à la chaîne de production et passe par un choix rigoureux des procédés (procédés thermoplastiques ou métalliques), des machines et des matériaux.
Intégration de la fabrication additive dans l’usine du futur
L’intégration de la fabrication additive dans l’usine modifie naturellement les chaînes de valeur de la R&D, du mode de fabrication. L’autre enjeu technologique de la fabrication additive porte sur la réalisation de pièces et d’objets avec une assurance qualité au moins égale à des procédés plus classiques de fabrication.
Enjeux réglementaires. En fonction des procédés, machines et matériaux utilisés pour la production additive, il convient de définir ou redéfinir la stratégie juridique en matière d’innovation en prenant en compte :
- la politique d’innovation et de R & D ainsi que notamment les conditions de protection du savoir-faire et la lutte contre la contrefaçon. Avec la chaîne de valeur numérique, les risques de captation de données informatiques sont multiples. Et ces risques existent à tous les jalons de la chaîne numérique. Et ce bien qu’un contrefacteur ne pourra s’affranchir de détenir un savoir-faire industriel pour la réalisation d’objets exigeant sur le plan technologique ;
- la politique de sécurité qui pourra nécessiter par exemple de revoir les exigences de la directive ATEX ainsi que les exigences de sécurité et de santé.
Les enjeux réglementaires portent sur les problématiques de dissémination pour des objets complexes et à très forte valeur ajoutée ou stratégique pour la base industrielle et technologique française.
Contrôles non destructifs (CND) innovants
Situées aux frontières de la métrologie, de l’instrumentation industrielle, scientifique et médicale, les méthodes et technologies de contrôles non destructifs (CND) se généralisent dans l’usine du futur.
Les différentes technologies de CND (technologies électromagnétiques, ultrasonores et acoustiques) utilisées traditionnellement pour la détection de défauts dans les industries métallurgiques ou dans le transport et le nucléaire, se diversifient. Ceci via l’utilisation de technologies d’imagerie numérique et de traitement du signal et avec l’utilisation de capteurs. Et s’étendent désormais aux domaines des biens de consommation et aux objets produits dans l’usine du futur.
Enjeux technologiques. L’utilisation de nouvelles méthodes et technologies de CND dans l’usine du futur concerne le choix de la technologie de CND la mieux adaptée. Et ce en fonction des contrôles de qualité des objets à effectuer et la qualification des conditions de mise en œuvre. Sans oublier la formation des opérateurs à ces nouveaux CND et les transferts de technologies nécessaires le cas échéant. Un autre enjeu est l’intégration de la stratégie de contrôle non destructif dans le modèle numérique 3D de l’usine du futur.
Enjeux réglementaires. Les enjeux réglementaires du développement de nouvelles technologies de CND concernent principalement la problématique de la traçabilité des contrôles. En particulier sur les pièces détachées, du fait de la personnalisation de la production avec la fabrication additive. celles-ci peuvent être produites désormais dans des micro-usines déportées du lieu de production principal voire à distance, sur le lieu de production de sous-traitants.
Monitoring – Surveillance – Maintenance prédictive
Le recours accru aux technologies et méthodes de monitoring, de surveillance et de simulation à partir de scénarios grâce à l’utilisation des modèles numériques 3D et de l’IIOT, et du développement des CND, permet de modifier profondément la chaine de valeur de la maintenance de l’outil de production.
Enjeu technologique. Grâce aux modèles numériques 3D, à l’IIOT et aux CND, managers et décideurs de l’usine du futur peuvent mieux détecter les dysfonctionnements, incidents ou pannes de l’outil de production. Et ainsi mieux connaître les incidences sur la durée de vie des équipements et de l’outil de production. Et mieux diagnostiquer et mettre en œuvre une maintenance prédictive de l’outil de production.
Le développement dans l’usine du futur des technologies de monitoring, de surveillance et de maintenance prédictive se confronte à un enjeu majeur. Celui de l’intégration à la chaîne numérique pour optimiser en temps réel l’outil de production et pouvoir le reconfigurer de manière automatique et optimiser sa performance. Un autre enjeu : le développement de système de système de supervision non limité à la supervision d’une partie. Ou d’un écosystème de production. Mais capable d’influer et de reconfigurer de manière globale l’outil de production en temps réel.
Enjeux réglementaires. Ils concernent au premier plan la cybersécurité, mais aussi la gestion de la transparence et de la traçabilité des simulations et des outils de diagnostic et de simulation. Egalement les conséquences en termes de responsabilité qui découle de l’information et de la connaissance des modes de défaillances. Ou encore des fragilités des objets ou produits fabriqués dans l’usine du futur. Sans oublier la question de l’acceptabilité par les opérateurs et par les clients des capteurs intégrés respectivement sur le système de production ou dans les objets fabriqués.
Evaluation de l’ensemble des enjeux réglementaires et normatifs
L’ensemble des enjeux réglementaires et normatifs propres aux technologies transversales ainsi qu’à chaque écosystème technologique doit également doit être évalué. Ceci dans le cadre d’une approche globale. L’analyse en silo des impacts et incidences des enjeux réglementaires d’un écosystème technologique ne suffit pas. L’analyse et l’évaluation des enjeux réglementaires doivent être conduites en prenant en compte l’ensemble des écosystèmes technologiques. Ainsi que les liens de dépendance ou de convergence entre eux.
L’usine du futur n’est pas une prospective futuriste. Elle est déjà là. L’usine du futur va également modifier la relation avec le consommateur-acteur. Ainsi que les rapports de force et l’expérience du consommateur-acteur.
Enfin, elle va également entraîner une modification en profondeur de l’écosystème des compétences. Principalement en créant de nouveaux savoir-faire et en rendant obsolète des savoir-faire existants.
Didier Gazagne
Lexing Droit Intelligence économique
(1) Ministère de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique, Article « Nouvelle France Industrielle : construire l’industrie française du futur »
(2) Ministère de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique, Article « Technologies clé 2020 ».