La Security and Exchange Commission entend renforcer son contrôle sur l’utilisation du terme Blockchain.
Une utilisation « abusive » du terme Blockchain
La « Security and Exchange Commission » (SEC) (1), l’équivalent Américain de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) a annoncé lundi 22 janvier 2018 (2) qu’elle allait s’atteler à un contrôle plus assidu des sociétés, cotées sur différents marchés, qui utilisent le terme Blockchain dans leur dénomination sociale pour améliorer la valorisation de leurs actions (3).
En effet, durant l’année 2017, un certain nombre de sociétés ont noués des partenariats de convenance avec des start-up spécialisées dans la crypto-monnaie ou dans la blockchain ont simplement changé leur dénomination sociale pour y ajouter une référence à la blockchain dans le seul but de d’attirer des investisseurs (4).
A titre d’illustration, la compagnie de thés glacés « Long Island Iced Tea Corp » a profité de cet effet de mode pour se renommer « Long Blockchain Island » et faire un communiqué de presse en annonçant qu’elle allait s’appuyer sur la technologie blockchain, ce qui a permis à son action de faire un bon de près de 200%.
Usage du terme Blockchain, manœuvres sanctionnables ?
En France, l’état du droit sur la question semble propice à ce que la responsabilité des auteurs de ce type de pratiques puisse être engagée.
Diffusion d’informations fausses ou trompeuses ?
L’article L.465-3-2 du Code monétaire et financier dispose en son premier alinéa que :
Est puni des peines prévues au A du I de l’article L. 465-1 le fait, par toute personne, de diffuser, par tout moyen, des informations qui donnent des indications fausses ou trompeuses sur la situation ou les perspectives d’un émetteur ou sur l’offre, la demande ou le cours d’un instrument financier ou qui fixent ou sont susceptibles de fixer le cours d’un instrument financier à un niveau anormal ou artificiel ».
Ces dispositions du CMF semblent englober la pratique évoquée ci-dessus dans la mesure où les conditions posées par cet article semblent réunies :
- l’infraction peut émaner de toute personne : sont donc naturellement visés les dirigeants qui prennent l’initiative de communiquer sur la blockchain ou de changer leur dénomination sociale pour y adjoindre certains « termes clés » ;
- il y a bien une diffusion d’information puisque les sociétés qui tentent de profiter de l’effet de mode « blockchain » le font généralement en communiquant massivement sur le prétendu tournant stratégique que prend leur entreprise et en tout état de cause sur le changement de leur dénomination sociale ;
- il y a bien une « indication fausse ou trompeuse sur la situation ou les perspectives d’un émetteur » dès lors que le dirigeant communique sur le sujet de la blockchain tout en sachant pertinemment que, le cas échéant, aucune action concrète de la société n’existe quant à l’utilisation de ces nouveaux procédés technologiques ;
- enfin, l’élément moral, indispensable pour toute sanction pénale est caractérisé dès lors que l’utilisation de ce terme était justement d’induire le marché à penser que la société en question se positionnait sur un créneau porteur alors qu’il n’en n’était rien.
Les sanctions prévues pour ce type d’infraction sont celles de l’article L.465-1 du CMF, soit 5 ans de prison et 100 millions d’euros d’amende, ce montant pouvant être porté jusqu’au décuple du montant de l’avantage retiré du délit.
L’usage du terme Blockchain, une escroquerie ?
Selon l’article 313-1 du Code pénal :
L’escroquerie est le fait, soit par l’usage d’un faux nom ou d’une fausse qualité, soit par l’abus d’une qualité vraie, soit par l’emploi de manœuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d’un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge ».
Cette pratique pourrait en effet tomber sous le coup de l’escroquerie dans la mesure où on retrouve bien :
- « l’usage d’une fausse qualité ou l’abus d’une qualité vraie ». En effet en affirmant utiliser la technologie blockchain ou en communiquant à outrance sur l’utilisation de cette technologie alors que (i) soit cette technologie n’est pas utilisée (ii) soit elle ne l’est pas au point qu’un changement de dénomination sociale soit justifié, les dirigeants des sociétés concernées travestissent, de façon plus ou moins importante, la réalité ;
- le fait de « tromper une personne physique ou morale ». En effet, l’objectif de cette stratégie étant d’amener certaines personnes, principalement des investisseurs, à penser que l’entreprise prend de nouvelles directions stratégiques orientées vers le numérique alors que cela n’est pas, ou en tout cas pas fondamentalement, le cas ;
- une remise de fonds. En effet, le but de la démarche est de tromper les investisseurs à acheter des actions de leur société. Or, l’achat d’actions passe nécessairement par la remise de fonds ;
- l’élément moral peut être considéré comme étant caractérisé de la même manière que dans le cas de la diffusion d’informations fausses ou trompeuses dans la mesure où il y’a bien une volonté de tromper l’investisseur pour réaliser des bénéfices.
L’escroquerie est punie de cinq ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende.
Ainsi, cette pratique, à première vue ingénieuse et spirituelle, semble tomber sous le coup du droit positif français et plus particulièrement du droit pénal.
Pour l’instant, la SEC a simplement annoncé qu’elle allait surveiller cette pratique et n’a pas donné d’indication particulière sur d’éventuelles sanctions.
De son côté l’AMF ne s’est pas encore prononcée sur la question.
Enfin, il n’est pas exclu que des investisseurs se sentant trompés empruntent la voie de l’action collective pour faire valoir leur droit à l’encontre de certaines sociétés indélicates instrumentalisant leur dénomination sociale.
Marie Adélaïde de Montlivault-Jacquot
Pierre Guynot de Boismenu
Lexing Contentieux informatique
(1) “Opening Remarks at the Securities Regulation Institute”, Chairman Jay Clayton, Washington D.C. Jan. 22, 2018.
(2) “Six Accountants Charged with Using Leaked Confidential PCAOB Data in Quest to Improve Inspection Results for KPMG”, Press Release No 2018-6, Washington D.C., Jan. 22, 2018.
(3) “Securities exchange Act of 1934”, U.S. Securities and exchange commission, Release No. 82452, Washington, D.C. Jan. 5, 2018.
(4) “A brief introduction to blockchain”, Nancy Liao, John R. Raben, Sullivan & Cromwell executive director, YLS associate research scholar in law (Yale Law School Center for the Study of Corporate Law), oct. 12 2017.