Un site peut-il imposer comme loi applicable une loi moins favorable que celle du pays de résidence du consommateur ?
La Cour de Justice de l’Union européenne a rendu le 28 juillet 2016 une décision à l’encontre d’un géant de la vente en ligne.
Société luxembourgeoise, site internet allemand et association de consommateurs autrichienne
C’est une association de consommateurs autrichienne qui a intenté une action en cessation contre Amazon EU, société de droit luxembourgeois. Le motif: les conditions générales de vente du site de e-commerce seraient abusives.
La juridiction du premier degré rend une décision partiellement favorable à l’association de consommateurs. Celle-ci décide, tout comme le site de vente en ligne, d’interjeter appel.
La juridiction d’appel juge que la loi applicable doit être déterminée en application du règlement Rome I sur la loi applicable aux obligations contractuelles (1).
En l’espèce, les clauses seraient à analyser, d’abord, au regard du droit luxembourgeois, puis, au regard du droit autrichien pour établir les dispositions les plus favorables.
La procédure arrive devant la Haute juridiction autrichienne.
Celle-ci sursoit à statuer. Et pose plusieurs questions préjudicielles à la CJUE. Sur la loi applicable à l’action, à la détermination du caractère abusif des clauses et au traitement des données personnelles.
La CJUE, par cette décision, apporte trois clarifications au droit positif.
Détermination de la loi applicable à l’action en cessation et à la détermination du caractère abusif des clauses
Tout d’abord, se pose une question d’interprétation. Plus précisément, celle des règlements Rome I et Rome II pour déterminer la loi applicable à l’action en cessation (au sens de la directive 2009/22) dirigée contre les clauses contractuelles, prétendument illicites, imposées par une entreprise établie dans un Etat membre qui conclut des contrats par voie de commerce électronique avec des consommateurs qui résident dans d’autres Etats membres.
L’action en cessation est une action délictuelle ou quasi-délictuelle au sens du règlement Bruxelles I (2).
Dans une logique de cohérence, cette interprétation s’applique aussi aux règlements Rome I (obligations contractuelles) et Rome II (obligations non-contractuelles), nous apprend la Cour.
Lorsque l’action en cessation porte sur des clauses abusives, qui relèvent du régime de la concurrence déloyale, on appliquera la loi du lieu où est situé l’intérêt collectif.
Ainsi, la loi d’application de l’action en cessation est déterminée par le règlement Rome II sur les obligations non-contractuelles (3).
La loi applicable à l’examen du caractère abusif des clauses est déterminée selon la nature même de ces clauses.
Le rattachement autonome des clauses garantit, d’après la Cour, que le droit applicable ne varie pas en fonction du type d’action. Qu’il s’agisse d’actions individuelles ou par un groupe de consommateurs, etc.
Ce rattachement autonome permet de lutter contre les clauses abusives; Et ce faisant, de limiter le risque d’incohérence des décisions.
Détermination du caractère abusif des clauses
Ensuite, la Cour se penche sur la question de savoir si, des clauses de Conditions générales de vente (« CGV ») d’un contrat conclu par voir électronique entre un professionnel et un consommateur, qui imposent comme loi du contrat celle de l’Etat membre où est le siège du professionnel, sont abusives.
La Cour rappelle que lorsqu’une clause n’a pas fait l’objet d’une négociation individuelle (ce qui est systématiquement le cas en matière de vente en ligne), cette clause est considérée abusive lorsqu’elle crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, au détriment du consommateur.
Le caractère abusif d’une clause est déterminé par un examen au cas par cas de chaque clause. En plus des critères de bonne foi, d’équilibre et de transparence, il faut prendre en compte « toutes les circonstances pertinentes, y compris la nature des biens » (4) ou services contractés.
La Cour reconnait qu’il appartient à la juridiction nationale de se prononcer. Cela ne l’empêche toutefois pas d’entamer une analyse.
Ainsi, la Cour estime qu’une clause, qui figure dans les CGV d’un professionnel et qui n’a pas fait l’objet de négociation individuelle, qui détermine la loi applicable au contrat conclu par voie électronique est la loi de l’Etat membre du siège du professionnel, est abusive si cette clause induit le « consommateur en erreur en lui donnant l’impression que seule la loi de cet Etat membre s’applique au contrat » (5) sans informer le consommateur qu’il bénéficie également des dispositions impératives du droit national qui serait applicable en l’absence de cette clause.
Après avoir démêlé le droit, la Cour renvoie la décision factuelle aux juridictions autrichiennes.
Détermination de la loi applicable au traitement des données personnelles
Enfin, la Cour répond à la question de savoir si, lorsqu’un traitement de données à caractère personnel est mis en place par une entreprise de commerce électronique, la loi applicable au traitement est celle de l’Etat membre vers lequel l’entreprise dirige ses activités.
L’application de l’article 4 de la directive sur les données personnelles conduit à l’application de la loi de l’Etat membre dans lequel un établissement effectue un traitement de données dans le cadre de ses activités (6).
Pour la Cour, le fait qu’un consommateur autrichien puisse accéder au site internet d’un professionnel établi dans un autre pays membre ne permet pas d’établir l’existence d’un établissement.
Dès lors, il convient d’évaluer si Amazon EU procède au traitement dans le cadre des activités d’un établissement hors du Luxembourg.
Cette évaluation reviendra aux juridictions autrichiennes.
En conclusion, cette décision renforce la protection du consommateur en ce qu’il doit être informé des dispositions impératives du lieu de sa résidence habituelle. Elle permet encore d’appréhender avec plus de précision la loi applicable au traitement, en fonction de l’existence d’un établissement.
Lexing Alain Bensoussan Selas
Lexing Publicité et marketing électronique
(1) Règl. CE 593/2008 du 17-6-2008
(2) Règl. CE 44/2001 du 22-12-2000
(3) Règl. 864/2007 du 11-72007
(4) CJUE 28-7-016 C-191/15 n°63
(5) CJUE 28-7-016 C-191/15 n°71
(6) Dir. 95/45/CE du 24-10-1995